Meet : Vanese – DJ Pursuit Grooves

FT_PURSUIT500_95S9Lorsque j’ai appris que Vanese organise des sessions de formation à la création de musique électronique tout spécialement pour les femmes, j’ai immédiatement eu très envie de l’interviewer pour en savoir plus. Je l’annonce dans le titre, elle est DJ, mais aussi productrice, MC et artiste vidéo.
Participante tout comme moi au groupe d’artistes female:pressure, elle est de ces activistes qui agissent sans se soucier des préjugés, et j’aime sa démarche.
D’autant que sa formation est orientée hardware, domaine traditionnellement plutôt masculin.

A l’heure où les débats sur les femmes et la technologie  sont encore d’actualité, cet échange a confirmé mon sentiment : l’idée qu’une femme serait moins douée qu’un homme pour manier des “machines” est culturelle.

Donnez un PC ou tout autre outil numérique à un enfant, s’il est passionné, fille ou garçon, il en apprendra l’usage sans difficulté.

Vanese et moi avons en commun d’avoir très jeunes eu notre envie de découvrir l’informatique comblée par des parents qui n’y ont vu aucun problème. Devenues adultes et spécialistes dans nos domaines respectifs, il nous est même difficile de comprendre d’où viennent les préjugés culturels en la matière.
Toujours bien acceptées par nos pairs masculins, respectées sur scène et pour nos productions, actives, professionnelles et motivées, notre échange n’a laissé qu’une grande question : pourquoi les filles ne collaborent-elles pas plus ensemble?

vanese pursuit groove

En nous parlant sur Skype, nous avons tout d’abord pu faire connaissance, elle vit au Canada et nous avons en commun d’être en couple avec des producteurs rencontrés au long de nos parcours artistiques… sur Internet!

“Etre un couple artiste est quelque chose de génial, parce que nous parlons le même langage. Cela nous mène aussi parfois à être un peu bornés car nous voulons toujours avancer de manière artistique… il faut accepter qu’il y aie des hauts et des bas! Mais nous nous entraidons, nous nous encourageons mutuellement, et cela enrichi notre motivation”

Et lorsqu’on est deux à adopter la vie d’artiste, la question “Comment en vit-on?” est évidente. Vanese est arrivée à la même conclusion que moi : enseigner est une des clés pour se professionnaliser sans sacrifier sa création aux aléas du marché.

“J’y ai beaucoup réfléchi ces derniers temps. J’en suis venue à la conclusion que même en temps qu’artiste, le milieu est extrêmement compétitif. De nos jours, la compétition est partout. Si tu fais de l’art pour le plaisir, c’est totalement différent qu’exercer pour en vivre.
Je crois que si l’on peut apprendre quelque chose, ou même réparer quelque chose, c’est un parfait complément à une activité artistique.”

Vanese a commencé à produire de la musique à l’âge de 14 ans, et comme elle le précise sur son blog, elle ne connaissait à l’époque aucune fille faisant la même chose qu’elle. J’ai donc souhaité savoir si elle avait appris seule, ou si des amis, garçons, l’avaient aidée.

“J’avais un ou deux amis qui faisaient aussi de la musique, mais nous utilisions tous des machines différentes, nous en parlions donc moins. J’étais MC, et il a été assez intuitif pour moi de prendre les instruments en main. J’ai commencé avec un synthé, qui me permettait aussi d’enregistrer ma voix. La composition et la structuration de la musique sont venus tout seuls.”

Comment a-t-elle eu ces premières machines?
C’est sa maman qui les lui a offert 🙂
Elle a appris le piano et a pratiqué chez sa grand-mère, puis a commencé à demander pour ses Noëls et anniversaires des instruments comme une guitare électrique… qu’elle a rapidement revendue pour pouvoir se payer un clavier.

Est-ce qu’avec un background acoustique comme le piano classique, traditionnel pour les filles, il y a eu des réactions au fait qu’elle passe au numérique, domaine en général plus masculin?
Vanese a toujours été s’entraîner dans des écoles artistiques, elle était donc habituée à voir d’autres créatifs manier de nombreux outils différents et cela n’a pas été non plus une surprise pour son entourage.
Pour sûr elle était la seule fille dans le groupe à être MC, mais cela ne lui a jamais vraiment posé problème.

Quelle est sa machine favorite?
Elle utilise le même modèle, SP5O5, depuis une dizaine d’années, un sampler qu’elle a dû déjà changer 3 fois mais qu’elle affectionne. Simple mais efficace. C’est un point sur lequel nous nous retrouvons : “Keep it simple”. Nous avons en commun, point de différence à peut-être soulever avec les hommes qui font le même métier que nous, d’aimer garder les instruments que nous connaissons bien sans chercher à acheter et surtout apprendre les tout dernières nouveautés. Prendre ce que nous maîtrisons le  mieux pour en tirer le meilleur, ce qui demande beaucoup d’inventivité.

Quand a-t-elle rencontré pour la première fois une autre femme producteur comme elle?
En déménageant de Washington DC à Brooklyn, quartier de New York. Elle est entrée dans les communautés artistiques en tant qu’ingénieur du son pour une amie. Elle a donc rencontré d’autres productrices là bas, et aussi sur Internet.

A-t-elle appris de ces autres productrices, ou leur a-t-elle enseigné des compétences en musique?
Pas beaucoup car elles utilisaient elles aussi d’autres instruments et machines. Elles pouvaient en parler, s’inspirer, présenter leurs projets en cours, mais aucune n’a partagé de connaissances techniques entre elles.

A-t-elle fait des coproductions ou collaborations avec d’autres femmes? Et avec des hommes?
Question à laquelle elle n’avait jamais pensé, et c’était là le but de ma réflexion : en effet, elle n’a fait quasiment aucune coproduction avec d’autres femmes, mais uniquement avec des hommes.

C’est une des raisons pour laquelle j’ai souhaité l’interviewer d’ailleurs : au long de mes discussions dans notre groupe female:pressure, et lors de mes rencontres IRL, j’ai remarqué que les véritables collaborations entre femme sont rares. Entre hommes, ou entre hommes et femmes, elles sont légion. Deux filles qui s’associent pour produire, c’est beaucoup moins commun. Et dans mon cas, malgré de nombreuses demandes de ma part, et ayant travaillé pour beaucoup de femmes cependant (Juliette Dragon, Elo B., Lilou Macé, entre autres…) je n’ai jamais fait de co-production féminine. Les échanges techniques sont peu fréquents, et lorsque j’ai vu qu’elle allait donner des sessions de cours uniquement dédiés aux femmes, ce que j’ai moi aussi fait de nombreuses fois, j’ai eu envie d’en discuter avec elle.

“That’s so tricky!”

On est d’accord, la question de la collaboration est centrale lorsqu’on parle de féminisme dans la culture, l’art et le développement technique.

Pour mon label MockRadar, j’ai fait un appel à participation sur female:pressure, pour leur proposer de release des albums. Sur une cinquantaine d’artistes femmes active (plusieurs centaines étant présentes dans le groupe) seules 3 ont répondu. Et sur ces trois propositions, une seule est en cours d’éventuelle concrétisation. Ce taux est drastiquement bas par rapport à celui de réponse lorsqu’on s’adresse aux hommes : en général, ils participent assez facilement, et les projets voient le jour rapidement. Entre femmes… c’est beaucoup plus difficile!

C’est pourquoi apprendre aux femmes les méthodes de production, musicale pour Vanese et vidéo pour moi, est à mon avis un réel pas vers plus de collaborations féminines. Surtout dans une société où la production et la technique sont traditionnellement masculins : les femmes ne vont pas, par magie, apparaitre sur le devant de la scène. Apprendre, partager, collaborer, est une des clés du succès si “nous” voulons plus de femmes sur la scène électronique et artistique en général.

Vanese va donner une formation technique, et surtout partager des ressources pour permettre à ses étudiantes de continuer par la suite à apprendre et partager. Vous pouvez retrouver les informations sur sa formation ici : http://www.offcentredj.com/hardware-sampling.html

Tout comme moi, elle n’a jamais rencontré de problèmes avec le fait d’être une femme travaillant et oeuvrant dans/avec les technologies numériques. Il nous est difficile de pointer les différences qui font de nous des “particularités” dans le domaine : comment parler de nos ressentis, de nos histoires, et les étendre à une réflexion féministe? Le fait est qu’en tout cas, à moins qu’on nous le dise concrètement lors de débats ou de réflexions personnelles, nous n’y pensons pas vraiment.

L’acceptation par nos familles de nos intérêts pour les domaines créatifs et technologiques a aussi été très important. Comme je le disais en introduction : un enfant à qui on met dans les mains une machine, fille ou garçon, apprendra sans difficultés du moment que cela l’intéresse.

Retrouvez Vanese, aka Pursuit Grooves, sur son blog : Noddinggrand.com et sur Soundcloud

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EDIT Septembre 2013, voici une vidéo de Vanese faite à l’occasion de ses cours à OffDJCenter 🙂

[youtube=http://youtu.be/yhrfSKCedpo]

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