S’il est évident que les TIC ont changé notre quotidien, il n’est pas dénué de sens qu’ils soient aussi en train de changer nos mentalités globales, nos méthodes profondes. C’est une des raisons pour lesquelles j’essaie en ce moment d’observer la nouvelle économie qui émerge sur Internet. Et je ne parle pas d’un phénomène comme celui de la bulle Internet de la fin des années 90, essentiellement spéculatif, mais d’un remaniement de notre rapport à l’argent et surtout, des valeurs qui y sont associées.
Il y a deux ans, Thierry Gaudin, prospectiviste, annonçait la multiplication des monnaies virtuelles, tout en affirmant qu’elles “indiquaient un profond changement dans la manière d’appréhender les échanges sur le web”. Personnellement, je n’en ai pas réellement vu l’avènement. J’ai bien entendu parler récemment des Bitcoins par un ami qui les utilise, mais même après m’être penchée sur ce système que je croyais réservé aux mondes virtuels comme Second Life, je n’y ai vu qu’un intérêt très restreint. Essentiellement limité à des marchés de niche, parfois illicites – selon les lois en vigueur dans certains pays, mais pas d’autres.
Je travaille assez régulièrement avec un magasin de maintenance informatique en ce moment, et cela m’a permit aussi de constater d’autres pratiques liées aux transactions d’argent sur Internet.
Tout d’abord, les virus qui, encore mieux que le phishing, réussissent à extorquer de l’argent à des internautes. La grosse surprise, c’est le virus Gendarmerie Hadopi, qui lance un message d’avertissement pour téléchargement illégal, et propose de payer tout de suite “pour éviter une poursuite en justice plus tard”. Bien joué, le gars qui a inventé ça doit voler en jet privé actuellement, car si dans une seule boutique nous avons eu 3 clients en un mois et demi qui avaient payé une fausse amende de 200€ sans que le virus ne soit jamais partit, l’étendue de l’arnaque doit être énorme. Le truc en plus : un système de paiement chez votre libraire du coin. Hallucinant. Par un système de cartes à gratter, un concept proche des timbres fiscaux, vous payez directement au pied de chez vous. L’argent va vers une société qui commercialise le concept, qui elle même se prend une petit commission puis redistribue l’argent à l’entreprise bénéficiaire. Qui dans ce cas est certainement à l’étranger, avec un compte difficile à retrouver.
Ensuite, les systèmes de paiement en ligne pour des prestations effectuées soit en atelier, soit en prise en main à distance. De plus en plus de clients sont prêts à payer via Paypal ou directement virement bancaires pour les services fournis. Le service à la personne en matière de nettoyage de virus et même de sécurité Internet est en plein boom. En cherchant un peu j’ai même trouvé une entreprise qui fait tout à distance dans le domaine : SOS Internet.
Mais si là je parle des échanges concrets d’argent sur le net, c’est anecdotique, car c’est d’un point de vue plus “philosophique” qu’il me semble que les changements sont marquants.
Dans l’article Copyright me not, j’évoque le système d’échanges que propose DesignModo. 90% des services sont gratuits et font la réputation du site.
10% sont vendus, plutôt cher, mais avec une licence d’utilisation totale : lorsqu’on acquiert une œuvre, elle nous appartient totalement et on peut l’utiliser comme bon nous semble.
Une révolution dans l’idée qui date d’un siècle maintenant et a posé les bases de la propriété intellectuelle sur l’idée que copier, c’est voler. Les internautes réinventent l’idée, en contrant le vol par une générosité conséquente et qualitative : on est alors bien loin de l’adage “Ce qui ne coûte rien ne vaut rien”. Et parallèlement, s’ils vendent, c’est un acte intégral. D’ailleurs à quel moment avait-on commencé à pratiquer cette commercialisation de l’art? Il me semble qu’il y a encore quelques temps, lorsqu’on achetait un tableau, il nous appartenait intégralement et l’on pouvait selon ses envies, le garder caché en collection privée pour des années, ou le revendre plus tard avec une plus-value, sans qu’aucun intermédiaire ou artiste s’en offusque!
Et en parlant d’intermédiaires, mon post précédent sur le financement social, montre là aussi à quel point nous avons revus nos façons de commercialiser nos idées et nos projets. Le sponsoring global, récompensé en nature : une nouvelle idée pour rétribuer l’art (et pas seulement, les projets sociaux sont aussi de mise sur les plateformes citées).
Enfin, j’ai eu la bonne surprise de découvrir un autre système en parcourant les pages de l’excellent site OWNI, “média d’enquête, de reportage et de data-journalism, et dédié aux cultures numériques ainsi qu’aux nouveaux enjeux de société”. Ils ont lancé leurs éditions de e-books, et inaugurent une idée que je n’avais jamais encore vu : en allant consulter un livre, par exemple La véritable histoire de Wikileaks, on prévisualise, on lit, on voit le prix, soit 3,99€. Juste à côté du bouton “acheter”, il y a l’option Je ne veux pas payer, je le veux gratuit, et un bouton Hacker. Le cheminement est aussi important que l’acte : il a fallu tout d’abord s’intéresser au livre, cliquer pour accéder à la fiche, voir clairement le prix, aller jusqu’à l’option Acheter pour découvrir l’offre. Et en cela, ouvrir la porte d’une nouvelle façon d’envisager les échanges. Si vous êtes assez motivé pour avoir envie de l’acheter, la contrainte financière ne doit pas vous empêcher d’accéder au savoir. Si vous cliquez quand même si Hacker, vous savez combien coûte ce que vous êtes en train d’obtenir, même si vous l’avez gratuitement. Et remet en lumière l’idée selon laquelle ce qui est gratuit n’a pas de prix.
Dans le cas de OWNI c’est tout l’un (payant) ou tout l’autre (gratuit), mais je ne peux manquer de souligner les initiatives telles que celles de BandCamp, connu depuis des années maintenant par les amateurs de musique, qui propose la vente d’albums au prix que vous souhaitez, c’est le “name your price”, qu’il est aujourd’hui difficile d’appliquer online. Vous donnez ce que vous voulez, tout simplement.
(*) EDIT du 11 Juillet 2013 : les éditions du site OWNI ont disparu de leur site, et on ne peut plus avoir les versions gratuites… Ils restent cependant disponibles en version numérique disponibles sur immatériel.fr.
Une fois de plus, je trouve que le fossé se creuse, entre le “partage qui donne” et le “partage qui demande”. Des pratiques totalement différentes, des mentalités quasiment opposées. Et même si le vent majoritaire restera certainement pendant un moment soumis aux contraintes des marchés populaires payants, il est désormais tout à fait possible d’accéder à autant de savoir, de connaissances, de biens culturels, gratuitement.
Une vidéo sur le sampling pour illustrer tout ça : SHARING IS CARING!
[youtube https://www.youtube.com/watch?v=bEWA1cU1eAQ]
Cet article a été publié le 09 novembre 2012 et édité le11 Juillet 2013.
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